L’assurabilité, de quoi parle-t-on ?
Depuis quelques années, l’émergence de nouveaux risques a fait entrer le mot « assurabilité » dans le vocabulaire courant des Français. Mais de quoi s’agit-il exactement ? Pour comprendre, il est essentiel de revenir sur plusieurs fondamentaux :
- Un risque est un événement entraînant des dommages (ou sinistres), dont la survenue est incertaine.
- La mutualisation est un principe clé. Les cotisations de tous sont mises en commun et permettent de régler les sinistres qui surviendront à quelques-uns.
- Les statistiques sont indispensables. Accidents, vols, catastrophes naturelles… Elles permettent d’évaluer la fréquence d’un risque, c’est-à-dire sa probabilité de réalisation. Elles déterminent aussi le coût moyen d’un sinistre. Et c’est grâce à ces différents éléments qu’un assureur peut calculer le montant de la cotisation d’équilibre, c’est-à-dire le montant moyen nécessaire pour compenser les risques entre eux.
Ainsi, l’assurabilité peut être définie comme la capacité d’un risque à remplir les conditions nécessaires pour être garanti par un contrat d’assurance.
Pourquoi l’assurabilité est-elle remise en question ?
Réchauffement climatique, vieillissement de la population, évolution de nos modes de vies et de consommation, hausse de la cybercriminalité… Le monde a changé. Certains risques évoluent et s’intensifient, d’autres apparaissent. Rendant plus difficile leur modélisation et remettant en question le cadre de leur assurabilité. Résultat ? Le système assurantiel atteint ses limites. Plombé, de plus, par un contexte inflationniste qui pèse lourdement dans la balance.
Chiffres clés
En 2024, 21,5 % de la population française est âgée de plus de 65 ans, et cette part va continuer à croître, pour atteindre près du quart de la population française en 2030 (1)
Hausse des soins longue durée et des maladies gériatriques, accroissement significatif de la dépendance, besoins croissants de couverture retraite, nouvelles problématiques de succession et de transmission du patrimoine… L’allongement de la durée de vie pousse le secteur de l’assurance à revoir son modèle.
- Les besoins en assurance santé augmentent : le glissement de la population vers le troisième et quatrième âge a notamment pour conséquence l’augmentation des soins gériatriques de longue durée dont l’impact sur les coûts est significatif
- Soins à domicile, perte d’autonomie… la demande d’assurance dépendance est notoirement en hausse.
- Le nombre de contrats d’assurance dépendance a progressé de 5 % par an en moyenne sur les cinq dernières années (France Assureurs (FA), Rapport 2023)
- En 2022, plus de 6 millions de Français étaient couverts par une assurance dépendance, contre 4,5 millions en 2017 (FA, Chiffres clés 2023)
- L’allongement de la durée de vie entraîne également un besoin croissant de couverture retraite et d’épargne.
L’augmentation des dépenses de santé aggrave le déficit de la branche santé de la sécurité sociale
Chiffres clés
Depuis la crise sanitaire, l’augmentation globale des dépenses de santé accélère : +4 % en 2022 et +5,2 % en 2023 (2)
Cette augmentation s’explique par trois principaux facteurs :
- Le vieillissement de la population s’accompagne du développement de maladies chroniques et d’affectations de longue durée. 30% de la population souffre d’un problème de santé chronique ou durable (3).
- Le développement de nouveaux traitements et de technologies médicales permet de traiter plus de pathologies mais représentent un coût significatif.
- La revalorisation des métiers de la santé n’est pas négligeable. On note une augmentation de la consultation d’un médecin généraliste de plus de 5 euros depuis 2023.
L’inflation pèse sur les tarifs et creuse les inégalités sociales
Depuis la crise du Covid et la guerre en Ukraine, la pression inflationniste est exacerbée et pèse sur le secteur assurantiel. L’assurance dommages y est particulièrement sensible.
Rupture des chaînes d’approvisionnement, raréfaction de certains matériaux (métaux et bois), augmentation du coût de la main d’œuvre… L’inflation générale a fait flamber toutes les factures de réparation automobile.
Entre guerres douanières et émergence des véhicules électriques (plus coûteux à réparer que les véhicules thermiques), ce contexte inflationniste va probablement perdurer. Il pose la question de l’acceptabilité de tarifs sans cesse en hausse pour les populations les plus modestes, et creuse davantage les inégalités sociales.
La sinistralité climatique augmente inexorablement
Chiffres clés
L’année 2024 est la troisième année la plus coûteuse pour les assurances depuis 1980 avec des dommages assurés s’élevant à 140 milliards de dollars à l’échelle mondiale (4).
Inondations, feux de forêts, tempêtes… Le risque climatique a changé d’échelle. On observe une explosion du coût des sinistres liés aux événements extrêmes, qui devraient doubler entre 2020 et 2050 par rapport à la période 1989-2019 (5).
Ces événements sont non seulement plus fréquents, mais aussi plus intenses. Ils touchent désormais des territoires jusqu’alors épargnés, et surviennent même à des époques de l’année inédites. Aux événements extrêmes s’ajoutent les périls latents mais tout aussi problématiques, comme l’érosion du littoral et le phénomène de retrait-gonflement des argiles. Et ce n’est pas tout. L’impact du réchauffement climatique sur la santé des populations, notamment les maladies chroniques, est également bien réel.
L’évolution du climat rend donc plus difficiles les prévisions des compagnies d’assurance, qui se basent – schématiquement – sur un historique de données pour modéliser l’avenir. Le risque ? Une tarification non adaptée ou un sous provisionnement des besoins d’assurance.
Les conséquences sont d’ores et déjà visibles. Certains assureurs sont ainsi amenés à se retirer des territoires jugés trop risqués, ou à augmenter drastiquement leurs primes jusqu’à les rendre difficilement supportables financièrement par leurs assurés.
Focus
Le régime Cat- Nat, une spécificité française
- Le régime d’indemnisation des catastrophes naturelles – appelé régime Cat- Nat – a été instauré par la loi du 13 juillet 1982.
- Il repose sur un mécanisme de solidarité nationale et permet d’indemniser les victimes (particuliers, entreprises et collectivités) en cas de dommages à la suite d’un événement exceptionnel déclaré “catastrophe naturelle” par les pouvoirs publics (séisme, mouvements de terrain, inondations, sécheresse…)
- Plus précisément, selon l’article L125-1 du code des assurances, la garantie Cat-Nat prend en charge les « dommages matériels directs non assurables ayant eu pour cause déterminante l’intensité anormale d’un agent naturel, lorsque les mesures habituelles à prendre pour prévenir ces dommages n’ont pu empêcher leur survenance ou n’ont pu être prises. »
- Ce régime est financé par la surprime Cat- Nat, un montant supplémentaire intégré dans les cotisations d’assurance.
Le régime Cat-Nat étant déficitaire, cette surprime – qui n’avait plus été réévaluée depuis près de 25 ans – a fait l’objet d’un rééquilibrage au 1er janvier 2025 sur les contrats d’habitation et les contrats automobiles. L’objectif ? Garantir la viabilité du mécanisme, et ainsi la protection des Français.
Le marché de l’assurance doit se structurer face à l’émergence des risques cyber
La cybercriminalité est aujourd’hui l’une des menaces les plus importantes pour les entreprises et les institutions. Phishing (hameçonnage par mail), exploitation d’une faille, arnaque au président… La majorité des entreprises est encore vulnérable face à ces attaques. Qui ne sont pourtant pas sans conséquences commerciales.
Menaces protéiformes, omniprésence de l’IA, tensions géopolitiques… Les risques cyber représentent un réel enjeu. Non seulement pour les entreprises qui en sont victimes, mais aussi pour le secteur de l’assurance qui doit s’adapter pour les protéger.
Ce marché reste encore fragile et embryonnaire, avec une sinistralité très volatile. Difficile encore pour les assureurs de modéliser ce type de risque et de proposer une tarification adaptée. La preuve : le ratio S/P (sinistres sur primes) est passé de 84% en 2019 à 167% en 2020, pour retomber ensuite à 22% en 2022 (6).
Les assureurs sont également face à un autre défi : l’omniprésence de l’intelligence artificielle dans l’industrie automobile. Détection de l’environnement, analyse des données, ou encore prise de décisions intelligentes pour une conduite sécurisée… L’IA est notamment au cœur de la conduite autonome, posant de réelles problématiques réglementaires et juridiques.
Focus
Les voitures autonomes, un défi en matière d’assurabilité
- Il existe différents niveaux de voitures autonomes allant du niveau 1 (le conducteur est assisté) au niveau 5 (le conducteur n’est plus actif, le véhicule est entièrement automatique).
- Depuis septembre 2022, la France autorise la conduite semi-autonome de niveau 3
- En 2035, les véhicules partiellement ou totalement autonomes représenteront près de 30 % de la production automobile mondiale (7)
- L’essor de ce type de véhicule est une véritable révolution juridique sur la notion de responsabilité. N’étant plus seul maître à bord, le conducteur pourra-t-il être tenu responsable en cas d’accident ?
- Le système de bonus/malus aura-t-il encore lieu d’être ?
Problèmes de direction assistée, perte d’image de la caméra de recul… Tesla a rappelé 1 310 000 véhicules électriques à la sécurité défaillante début 2025 (8).
Aggravation du déficit de la branche santé de la sécurité sociale, ressources constamment insuffisantes du régime d’indemnisation des catastrophes naturelles (Cat-Nat), équilibre général des systèmes d’assurance privés remis en question… Ce contexte de polycrise impacte les résultats techniques sur les assurances du quotidien, et se répercute mécaniquement sur les primes d’assurance, qui augmentent constamment. Une situation intenable dans le temps.
Aggravation du déficit de la branche santé de la sécurité sociale, ressources constamment insuffisantes du régime d’indemnisation des catastrophes naturelles (Cat-Nat), équilibre général des systèmes d’assurance privés remis en question… Ce contexte de polycrise impacte les résultats techniques sur les assurances du quotidien, et se répercute mécaniquement sur les primes d’assurance, qui augmentent constamment. Une situation intenable dans le temps.
Focus sur les facteurs constitutifs de l’assurabilité
Prévision des risques, viabilité économique, stabilité du cadre réglementaire… L’assurabilité des risques est un équilibre complexe. Les facteurs sur lesquels elle repose sont impactés par l’évolution – en nature et en ampleur – de ces risques, ainsi que par un contexte économique, politique et climatique mouvant.
Ces facteurs sont interdépendants et peuvent être regroupés en trois grandes catégories : la nature du risque, les contraintes économiques et financières, ainsi que le cadre réglementaire et structurel.
Les facteurs liés à la nature du risque
- La prévisibilité du risque
Un risque est plus facilement assurable s’il est possible d’estimer sa fréquence et son intensité avec une certaine fiabilité. A ce titre, le réchauffement climatique rend les événements extrêmes beaucoup moins prévisibles, compliquant ainsi leur couverture assurantielle.
Focus
Pourquoi le réchauffement climatique remet en question la prévisibilité du risque ?
- La rupture avec le passé
Le dérèglement climatique entraîne une augmentation de la fréquence et de l’intensité des événements extrêmes, rendant les modèles statistiques basés sur le passé de moins en moins pertinents. Ainsi aujourd’hui, la question n’est plus de savoir si le risque va se produire, mais plutôt quand et comment (quelle fréquence et quelle intensité) il va survenir.
- Les limites des outils actuels de modélisation
Les modèles traditionnels des assureurs, basés sur la continuité et l’observation du passé, peinent à intégrer la notion de rupture et les points de bascule. Les tentatives d’intégrer des scénarios prospectifs comme ceux du GIEC restent limitées et ne sont pas encore intégrées dans la tarification.
- Le passage du risque à la menace
Certains événements relèvent désormais davantage de la menace, caractérisée par une incertitude radicale quant à leur survenue et leur ampleur, que du risque qui est mesurable et connaissable. Qu’il s’agisse d’érosion du littoral ou du phénomène de RGA (retrait-gonflement des argiles), bien que la survenance du sinistre ne soit qu’hypothétique, l’obligation de se protéger est, elle, bien réelle.
- L’étendue et la fréquence du risque
Les risques systémiques, touchant simultanément de vastes zones – comme les pandémies ou les catastrophes climatiques – sont plus difficiles à assurer. La multiplication des sinistres met sous tension les capacités d’indemnisation.
Inondations, tempêtes, microphénomène de grêle, feux de forêts… Qu’il s’agisse d’événements extrêmes ou de périls latents, le réchauffement climatique touche désormais tous les territoires. Quant aux risques cyber, la multiplication des cyberattaques à grande échelle remet en question la capacité des assureurs à couvrir ces risques de manière viable.
- Le coût des sinistres
L’augmentation des coûts, due à l’inflation et à la concentration des biens dans des zones à risques (les zones urbaines sont plus exposées aux inondations par exemple), entraîne une hausse des indemnisations et rend certaines assurances moins accessibles.
Les études prospectives convergent vers une explosion future des coûts de sinistres liés aux aléas naturels, menaçant la solvabilité des compagnies d’assurance.
Chiffres clés
Les dommages directs causés aux biens par les aléas naturels sur le territoire français devraient ainsi doubler d’ici 2050 et le changement climatique serait responsable de 35% de cette hausse (9).
Les contraintes économiques et financières
- L’acceptabilité des primes
Les primes devenant de plus en plus élevées, les assurés pourront-ils – et voudront-ils – encore s’assurer ? Au-delà d’un réel risque d’exclusion, cette éventualité affaiblirait l’un des principes fondamentaux de l’assurance : celui de la mutualisation. C’est la dimension collective de la protection d’assurance : les cotisations de tous – même des personnes non sinistrées – servent à indemniser les sinistres qui surviennent à quelques-uns seulement. La mutualisation est donc indispensable. Et plus sa base est large, plus elle est puissante pour la communauté des assurés.
- La capacité d’absorption du marché de l’assurance et de la réassurance
Face à des pertes massives et répétées, les assureurs et réassureurs pourraient atteindre leurs limites financières et être tentés de se retirer de certains segments du marché. Certains territoires sont-ils ainsi condamnés à devenir des « zones blanches de l’assurance » ?
Les facteurs réglementaires et structurels
- Le cadre juridique et réglementaire
La stabilité des réglementations est essentielle pour garantir la viabilité des modèles assurantiels. Les politiques publiques en matière d’aménagement du territoire et de prévention jouent un rôle crucial dans la réduction de l’exposition aux risques. Certains pays imposent d’ores et déjà des obligations aux assureurs pour maintenir l’assurabilité de certains risques, notamment en matière de catastrophes naturelles.
- La connaissance et la transparence des risques
Une meilleure information des assurés et des assureurs permet d’améliorer l’évaluation et la gestion des risques, facilitant ainsi leur assurabilité.
Crise de l’assurabilité : les populations les plus touchées
La crise de l’assurabilité – renforcée par un contexte inflationniste – creuse les inégalités et pénalise les populations les plus vulnérables.
Les foyers les plus modestes
Chiffres clés
Depuis le 1er janvier 2025, la surprime prélevée sur les contrats d’habitation est passée de 12 à 20 %, et de 6 à 9 % sur les contrats automobiles.
L’augmentation des primes d’assurance habitation et automobile rend l’accès à la couverture de plus en plus difficile pour les ménages aux revenus les plus limités. Et rend réel le risque d’exclusion. Le danger ? Une France à deux vitesses entre ceux qui peuvent encore se protéger et ceux qui ne le peuvent plus, creusant encore davantage les inégalités sociales.
Les populations situées sur les territoires à risque
Chiffres clés
Aujourd’hui, 62% des Français sont estimés exposés significativement aux risques climatiques (10). Dans le Pas- de- Calais, c’est 81 % de la population qui est exposé de manière forte ou très forte (11).
Les habitants des zones très exposées aux inondations, aux incendies de forêt ou autres aléas climatiques ont vu leurs primes considérablement augmenter. La récurrence des inondations a entraîné une hausse significative des primes d’assurance habitation. Pire : certains contrats ont même été résiliés par les assureurs. En cause ? Des territoires jugés désormais trop risqués, et donc trop coûteux à assurer.

Les seniors sont naturellement plus vulnérables face aux conséquences du dérèglement climatique sur la santé. En 2023, la mortalité liée à la chaleur chez les personnes âgées de plus de 65 ans a connu une augmentation record de 167 % par rapport aux années 1990(12). (+ lien Aémag 3, article 3)
L’allongement de la durée de vie impacte également les besoins en matière de soins de longue durée, qui représentent un coût que tous ne peuvent pas assumer. C’est le phénomène de précarité des seniors.Autre sujet essentiel : l’augmentation des besoins de couverture retraite et d’épargne à laquelle les assureurs doivent s’adapter en proposant notamment de nouvelles offres.
Les entreprises
Chiffres clés
61 % des entreprises françaises de moins de 250 salariés s’estiment faiblement protégées en matière de cybersécurité (13)
Aujourd’hui, la cybercriminalité est l’une des principales menaces pour les entreprises, notamment les TPE-PME.Mais ce n’est pas le seul risque face auquel les entreprises sont vulnérables. Entre interruptions d’activité et dégâts considérables pour leurs infrastructures, les entreprises sont également très exposées aux événements extrêmes. 75 % des PME américaines reconnaissent qu’elles ne sont pas suffisamment couvertes face à ce type de risques(14).
Existe-t-il des solutions face aux enjeux actuels de l’assurabilité ?
Allongement de la durée de vie, émergence des risques cyber, hausse sans précédent de la sinistralité climatique… Le secteur assurantiel est à un tournant de son histoire. La place française présente même des résultats techniques déficitaires sur les assurances du quotidien depuis plusieurs années. Conséquence naturelle ? Les primes augmentent pour suivre la hausse rapide des indemnisations versées.
Cette situation n’est cependant pas tenable dans le temps. Non seulement elle fait planer le risque d’un désengagement des assureurs de certains marchés ou territoires, mais elle menace aussi l’accessibilité de la protection pour les plus modestes. Pire encore : elle ne traite pas véritablement le problème en son cœur. A savoir le changement profond, en ampleur et en nature, des risques que l’assurance doit désormais couvrir.
Car derrière les défis de l’assurabilité se cachent des enjeux politiques, économiques et sociaux majeurs tels que :
- L’habitabilité de nos territoires face aux changements climatiques,
- La durabilité de nos modes de vie et de consommation,
- Le degré de solidarité dans nos systèmes de protection, publics comme privés.
Et si nos choix étaient désormais guidés par le prisme de l’assurabilité ? Où tout ce qui serait construit, conçu, développé ou décidé serait pensé pour être assurable dès sa conception. Trois principes guident cette approche : la mutualisation, la prévention et la réparabilité.
La mutualisation
La mutualisation des risques est un principe fondamental de l’assurance. Le mécanisme ? Les cotisations de tous – même des personnes non sinistrées – servent à indemniser les sinistres qui surviennent à quelques-uns seulement. Ainsi, s’assurer revient à accepter de payer pour les autres, tout en sachant qu’un jour, cela pourrait être pour soi-même.
La mutualisation exprime la dimension collective de la protection d’assurance. Et plus elle est large, plus elle est puissante pour la communauté des assurés.
Le rôle des assureurs mutualistes est fondamental pour garantir un modèle solidaire, juste et soutenable. L’objectif ? Assurer un équilibre entre couverture des risques et accessibilité financière de la protection pour tous.
PISTES DE RÉFLEXION
- L’élargissement de la base de la mutualisation, en rendant obligatoires certaines garanties liées à des dommages matériels de plus en plus fréquents.
- La remise en question du caractère essentiel ou non des situations indemnisées (dommages esthétiques sur les maisons, ou des dépenses de soins à faible impact thérapeutique).
- Une approche collective et solidaire pour maintenir un modèle de protection soutenable.
Focus
Comment l’IA peut-elle apporter des solutions au secteur de l’assurance ?
- En personnalisant davantage les offres, l’IA permet de mieux répondre aux attentes des clients.
- En développant des programmes de prévention sur-mesure.
- En adoptant une gestion pro-active des risques. D’après McKinsey & Company, plus de la moitié des activités liées aux sinistres auront été remplacées par l’automatisation d’ici 2030.
- En détectant et en prévenant plus facilement les fraudes.
- En automatisant les tâches répétitives.
MAIS…
Si l’IA présente de nombreux atouts pour le secteur assurantiel, elle est aussi synonyme de risque. Elle amplifie notamment un phénomène redouté des assureurs : la désinformation. Un fléau qui perturbe de plus en plus la prévention et la gestion des risques. Mais aussi et surtout la relation de confiance avec les assurés (15).
La prévention
Historiquement centré sur l’indemnisation, le secteur de l’assurance doit désormais endosser un nouveau rôle fondamental : celui de la prévention. Ou comment passer d’une logique de réparation à une logique d’anticipation.
Qu’il s’agisse de prévenir les risques climatiques en aménageant les territoires ou en adaptant les infrastructures, ou de prévention santé en promouvant des comportements favorables à la santé publique, un grand nombre d’initiatives ont d’ores et déjà été mises en place. Elles sont certes utiles, mais bien en deçà de la dimension systémique qu’ont pris certains risques.
Climat, santé, risques cyber… Une action déterminée et collective est possible. Comme le fut celle engagée en faveur de la prévention routière dans les années 70 et dont le succès est aujourd’hui indiscutable.
PISTES DE RÉFLEXION
CLIMAT
- La mise en place de plans d’adaptation pluriannuels dans les territoires sensibles pour y bâtir des infrastructures pertinentes – digues et canaux – et y interdire fermement de nouvelles constructions, déplacer des habitations et des entreprises.
- L’établissement de normes impératives de constructions ou de reconstructions visant à minimiser les dégâts ou à faciliter l’évacuation de l’eau en cas d’inondation.
SANTÉ
- L’alignement de tout l’écosystème de santé public et privé (patients, médecins, hôpitaux, sécurité sociale, assureurs, industriels…) sur quelques grands objectifs de santé publique (taux de vaccination, maladies chroniques…) et sur une analyse conjointe des données de santé, aujourd’hui fragmentée.
- La garantie d’une concertation méthodique et constante garantie par la puissance publique – au-delà des (aléas) politiques.
Focus
Le fonds Barnier, véritable outil stratégique de prévention
C’est quoi ?
- Le fonds Barnier (ou fonds de prévention des risques naturels majeurs (FPRNM) a été créé en 1995 pour soutenir les mesures de prévention ou de protection des personnes et des biens exposés aux risques naturels majeurs. Il permet, par exemple, de financer les indemnités d’expropriation de biens exposés à un risque naturel majeur.
Pour qui ?
- Ce fonds peut être mobilisé par les collectivités territoriales, les petites entreprises, les particuliers, les établissements publics fonciers et les services de l’État.
Comment est-il financé ?
- Le fonds Barnier est alimenté par un pourcentage de la surprime catastrophes naturelles. Sujet à l’ordre du jour lors de la PNACC 3 (16), son budget est passé de 225 à 300 millions en 2025.
Pourquoi est-il stratégique ?
- Car c’est un levier de prévention et de résilience très concret pour les territoires et les citoyens. 1€ investi en prévention permettrait d’économiser 8€ en indemnisations (17).
(+ lien Aémag 3, article 4)
La réparabilité
La réparabilité est un élément essentiel de l’assurabilité. Le but ? Rendre plus facile et moins coûteux l’acte de réparation ou de soin qu’indemnise l’assureur.
Focus
PISTES DE RÉFLEXION
- Le renforcement du rôle des assureurs dans la chaîne de réparation pour orienter davantage vers des prestataires agréés à des tarifs négociés et avoir la liberté de choisir les pièces de rechange – celles relatives à l’automobile sont aujourd’hui soumises au monopole des constructeurs – ; ou de structurer les filières de pièces de réemploi. L’objectif ? Faire contrepoids à la financiarisation du monde de la réparation matérielle et de l’accompagnement médical, désormais cible des fonds d’investissement qui y augmentent inconsidérément les marges et les prix.
- La prévention des pratiques industrielles rendant la réparation hors de prix, comme l’inutile sophistication technologique de nombreux véhicules neufs ou la tentation du gigacasting (18), qui soulève des interrogations écologiques et économiques sur le cycle de vie du produit.
Vers un nouveau contrat social
Le monde est face à de nouveaux défis qui remettent en question notre capacité collective à protéger. De nombreuses pistes de réflexion tendent vers un regain de solidarité et la nécessité d’une plus grande mutualisation des risques. Et à ce titre, les acteurs mutualistes ont un rôle – de protection et de prévention – de premier plan à jouer. Mais si le système assurantiel a d’ores et déjà entamé son adaptation, il ne peut porter seul le poids des enjeux immenses de notre siècle. Car derrière la crise de l’assurabilité se cachent des défis politiques, économiques et sociaux bien plus importants. Le risque ? Une France à deux vitesses entre ceux qui auront les moyens de se protéger et ceux qui ne le pourront plus.
PISTES DE RÉFLEXION
- Un partage du sort plus équitable au sein d’une chaîne de responsabilité partant de l’assuré jusqu’aux pouvoirs publics en passant par les assureurs et les réassureurs.
- Le développement de nouveaux mécanismes pour mettre en commun les risques et les prendre en charge plus collectivement.
- L’initiation d’une concertation nationale sur la solidarité et les priorités de financement face aux catastrophes naturelles.
- La définition d’un cadre institutionnel pour structurer une politique nationale de prévention.
Il est temps de définir collectivement comment nous voulons être protégés. Il faut inventer un nouveau contrat social. Adrien Couret – Directeur Général Aéma Groupe